Rien n'est trop dur pour un gars de notre âge - MMartin Live Journal

A ma gauche, il y a un garçon qui vient d'avoir 23 ans. Il s'appelle Jean, a des origines hongroises et a fondé une famille en épousant l'année dernière une fille de son âge. Certains disent d'ailleurs que le jeune couple attend prochainement un heureux événement. Tout va très bien pour Jean : il ne lui manque qu'un boulot, en fait. On dit qu'il a fait un peu de droit, suivi des cours d'art dramatique. Il est engagé en politique et est élu conseiller général des Hauts-de-Seine. C'est bien tout ça mais moyennement rassurant pour un employeur. Il faudrait une ou deux expériences "réussies" en plus dans le CV. Les candidats de 23 ans, moi - je vous le dis en toute honnêteté - j'hésite à les rencontrer. C'est jeune 23 ans pour travailler. Il faut que leur CV soit vraiment bien solide ou qu'ils soient très bien recommandés.

"Rien n'est trop dur pour un gars de notre âge"

Jean, lui, il est très bien recommandé. C'est pour ça qu'il a envoyé sa candidature au poste de président de l'EPAD, l'Etablissement Public d'Aménagement de La Défense, au culot, alors qu'il n'a probablement pas les compétences requises. C'est pas forcément très grave, ça : certains disent que l'habit fait le moine. Et puis, à sa décharge, comme tout le monde, Jean a du demander à son père de relire sa lettre de motivation. Pour avis. Ca tombe bien vu que son père avait le poste entre 2005 et 2006. La lettre de motivation a du être très convaincante : à l'heure actuelle, la signature de Jean semble peser plus lourd que les 40 000 signatures rassemblées par une pétition en quelques heures, que l'indignation de la presse étrangère. Lui se défend courageusement : "Quoique je fasse, je serai critiqué."

"Rien n'est trop dur pour un gars de notre âge"

A ma droite, il y a un garçon de 22 ans. Il s'appelle Ounoussou et a aussi des origines hongroises d'une certaine manière. En 2002, il signe au au 1er régiment de hussards parachutistes de Tarbes dont les premiers combattants sont, au XVIIIe siècle, des patriotes hongrois qui s'opposent au régime des Habsbourg. Ounoussou ne le sait pas encore mais au cours des sept années qui viennent, il va voir du pays car le 1er RHP est de ceux qu'on engage : "Régiment de mêlée, de contact, réactif et tourné vers l'avenir" pour reprendre les termes imagés du service de communication du régiment. Entre 2002 et 2009, ce régiment est envoyé sur de nombreux théâtres d'opérations extérieures : Tchad, Bosnie, Côte d'Ivoire ou Afghanistan... je ne vous inflige pas la liste complète, vous avez compris ce que je voulais dire : le 1er RHP cogne et se fait cogner.

"Rien n'est trop dur pour un gars de notre âge"

Ounoussou a aujourd'hui 29 ans et, après 7 ans passés sous les drapeaux : il est aujourd'hui au tribunal parce que la France lui conteste sa nationalité française. Lui aussi avait pourtant une lettre de recommandation bien solide : son père a choisi de rester Français lors de l'indépendance du Sénégal en 1960 comme la loi le lui permettait. Lui aussi avait un peu de droit : le droit du sang en vertu duquel les enfants d'un Français étaient Français. Pour le côté dramatique, le tribunal s'en est chargé : aujourd'hui, une lecture un peu différente de la loi de 1960 remet en cause l'accession à la nationalité française du père d'Ounoussou. Et donc la sienne et celle de son frère aîné, militaire également.

"Rien n'est trop dur pour un gars de notre âge"

Sur le plan juridique, l'affaire est complexe. Sur le plan symbolique, elle est "démentielle" selon les termes de Eric Deroo, spécialiste de l'histoire militaire coloniale, interrogé par Jean-Dominique Merchet : "Cela revient à dire aux jeunes issus de l'immigration que, même sous l'uniforme français, ils peuvent être mis dehors".

"Rien n'est trop dur pour un gars de notre âge".

Délibéré le 18 novembre pour Ounoussou. Pour Jean, je ne sais pas ce qui est prévu.

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PS. Le titre et le "refrain" de ce billet est tiré du chant du 1er régiment de hussards parachutistes.

"Pour libérer le pays qu'on enchaîne,
Prêts au combat pour repousser ses ennemis,
Il faut des gars endurcis à la peine,
Chacun pour tous et tous pour un réunis.

Voyez, braves gens, largués sur la plaine,
Tombant du ciel et progressant dans la nuit,
Ne craignant rien, ni la mort, ni la haine,
Voyez ce sont les hussards de Bercheny.

Autour de nous la bataille fait rage,
Si certains tombent sous les coups de l'ennemi,
Pour eux la paix et à nous le courage
De risquer tout pour secourir la Patrie.

Ô parachutiste, voilà l'orage,
Montrons nous fiers de nos anciens de Hongrie,
Rien n'est trop dur pour un gars de notre âge,
S'il est para de Bercheny Cavalerie."

Posted via web from alina's posterous

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